Un exposé très richement documenté et présenté par Lawrence LC Zhang,
Assistant Professor in Humanities à l’Université de Hong Kong, retrace le
développement du Gongfucha, qui est en passe de devenir la méthode universelle
pour préparer les tasses de qualité en Chine et dans le monde.
Le principe de base préconise une grande quantité de feuilles de thé qui
est infusée dans un très petit récipient, la liqueur est dégustée dans de très
petites tasses, contenant environ 3 gorgées ; selon la variété des
feuilles des multiples infusions sont possibles; un récipient égalisateur
permet de répartir la liqueur de manière équitable entre les convives, il peut
y avoir aussi des tasses à sentir et des outils en bambou, l’ensemble disposé
sur un bateau à thé.
Cette manière de préparer la tasse est donc très différente
de la manière occidentale, qui infuse environ 3gr par convive dans une théière
de bonne taille et cela une seule fois, pour boire ensuite dans des tasses contenant
environ 100 ml.
Lawrence LC Zhang nous apprend que le Gongfucha s’est
développé dans une petite région côtière de la Chine du sud, autour de la ville
de Chaozhou, dans la province du Guangdong, où l’on récolte depuis plus de 600
ans les célèbres thé wulong, que l’on appelle "Fenghuang Dancong".
Les Monts Phenix (Fenghuang Shan) sont une région montagneuse entre le
Guangdong et le Fujian, dominée par le pic du Mont Wudong, au pieds du quel se
trouve la ville de Chaozhou. Sur ses pentes prospèrent les impressionnants
théiers anciens et arbustifs, jadis cultivés à partir de graines d’une
sous-variété locale aux grandes feuilles précoces et particulièrement aromatiques,
nommée camellia Shuixian. Les amateurs de Chaozhou ont donc bénéficié depuis
longtemps de thés d’une qualité réellement exceptionnelle, ce qui explique peut-
être qu’ils ont pris l’habitude de les préparer d’une manière particulière,
pour mettre totalement en valeur à la fois leurs arôme et saveurs aux notes subtiles
de miel, d’orchidée, de cannelle, de fleurs de gingembre etc.
Or Lawrence LC Zhang nous dit qu’il y a trente ans cette
manière que l’on appelle maintenant Gongfucha était totalement inconnue en dehors de la
région de Chaozhou. Selon ses recherches ces pratiques de Chaozhou ont été introduites
à Taiwan par des réfugiés politiques et autres émigrés des régions côtières
et y ont rapidement suscité un réel engouement. Après l’apaisement des fureurs
des perturbations politiques en Chine continentale il était devenu souhaitable
de trouver des moyens vers un retour aux traditions culturelles, de rétablir un "Art du Thé" pour valoriser le produit. Il fallait aussi faire
oublier la mauvaise image des "maisons de thé à l’ancienne",où se
bagarraient des querelleurs, joueurs de carte et autres débauchés. L’introduction
d’un nouveau concept, le Chayi, l’art du thé, a permis le premier pas vers ce
retour. Il fallait ensuite enrichir la manière de faire de quelques empreints
de la cérémonie japonaise du Senchado pour mettre au point un esthétique du
gestuel et de la qualité et disposition des ustensiles. Ainsi il devenait
évident que cet art de la préparation du thé nécessitait un enseignement et
puis une pratique quotidienne. Et c’est donc par Taiwan que le Gongfucha fait
son retour en Chine continentale, vers les années 2002, quand la chaîne
taiwanaise Ten Ren commence à y investir massivement. De nos jours il y a plus de
1300 maisons de thé Ten Fu/ Ten Ren dans toutes les grandes villes de Chine,
qui pratiquent le Gongfucha.
Faire "revivre" aujourd'hui le Gongfucha, comme la pratique
traditionnelle et cérémonie incontournable pour les thés en feuilles de qualité
peut être considéré comme un exemple superbe d’une opération de marketing bien
ciblée, parfaitement menée et complètement réussi. Bien sûre persistent des
pratiques locales, que l’on maintient avec attention. Mais le Gongfucha a
permis de franchir le vacuum, de transcender les ruptures et turbulences du
siècle passé et de redonner toute sa gloire aux dix mille thés de Chine en leur
offrant un écrin prestigieux.
La pratique du Gongfucha est enseignée par de nombreux
instituts publics et privés, dans les universités, même les enfants l’apprennent dans certaines
écoles. Sa mise en valeur se poursuit à travers des compétitions régionales,
nationales, internationales confrontant le Gongfucha aux autres cérémonies du
thé, telles que pratiquées au Japon et en Corée notamment. Partout dans le
monde on trouve aujourd’hui les accessoires nécessaires pour cette préparation
délicate de la tasse, devenue universelle et incontournable et qui accompagne
une offre de thés de Chine de qualité.
Un long article très érudit de LLC Zhang :“A
Foreign Infusion: The Forgotten Legacy of Japanese Chadō on Modern Chinese Tea
Arts”a été publié dans la revue "Gastronomica" spring 2016.
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